« Actie gratis openbaar vervoer » - une tradition néerlandaise
Un détournement du sens politique de la gratuité a été au cœur d’une série de manifestations organisées aux Pays-Bas dans les années 1980 par les salariés des entreprises de transports collectifs urbains et régionaux. Ces campagnes dites « de gratuité » (actie gratis openbaar vervoer) se sont présentées comme une alternative aux grèves conventionnelles, socialement et politiquement plus acceptables, tout en permettant d’exercer une pression économique sur les opérateurs et les municipalités.
L’histoire montre que ces campagnes ont parfois été considérées avec sympathie par les administrations, au prétexte d’assurer la continuité de la vie publique, mais que les entreprises des transports collectifs et les instances publiques ont généralement décrié leur effet dévastateur sur les retombées fiscales et les recettes.
La gratuité pour exprimer une diversité de contestations
L'une des premières campagnes de gratuité a été organisée en 1979 à Bois-le-Duc, un samedi des congés d'hiver, en réaction au refus de la municipalité à contraindre la circulation automobile, considérée à l’origine des pics de congestion. En mars 1981, une campagne de gratuité de 48 heures fut organisée par les employés de la compagnie des tramways de La Haye à la suite de 14 jours de grève conventionnelle.
Cette fois, l’objectif était de décrier les disparités de salaires des conducteurs de transports collectifs dans les petites et grandes villes, dont l’origine était paradoxalement une autre mesure compensatoire pour réduire les inégalités entre salariés : une prime avait été mise en place en 1974 pour compenser la pénibilité des conditions de travail dans les métropoles, où le flux de circulation était plus important, avec des problèmes de sécurité et des risques de vandalisme accrus en comparaison avec la situation des plus petits réseaux.
En 1983, les employés de la compagnie ZWN ont organisé plusieurs jours de grève dans le Sud de Rotterdam, suivies par une campagne de gratuité, contre la mise en place de services de taxis dans les zones où l’exploitation de bus n’était pas rentable et contre l’éventuelle privatisation des lignes de bus régionales. Ces manifestations ont par ailleurs été un sujet de discorde entre les organismes représentant les droits des salariés, notamment le syndicat chrétien des travailleurs CNV et la fédération des syndicats du travail FNV, qui était initialement partie prenante dans l’organisation des campagnes. Néanmoins, ces deux organismes se sont progressivement positionnés contre les campagnes de gratuité lorsqu’elles ont été jugées « illégales » par les instances étatiques.
De l'illégalité à la construction d'un projet officiel
Ces campagnes ont étonnamment contribué au retour de la gratuité comme projet officiel des opérateurs des transports collectifs et des municipalités – une hypothèse qui avait déjà animé le gouvernement néerlandais au début des années 1970 face au constat du déclin de la qualité des services, mais qui avait échoué à retrouver un soutien politique majoritaire.
C’est dans un esprit de pragmatisme que la société des tramways de Rotterdam (RET) a saisi l’occasion d’une campagne de gratuité en 1981 pour interroger non seulement ses effets négatifs sur les recettes, mais aussi ses conséquences positives sur la fréquentation. La gratuité avait attiré des jeunes, mais aussi des travailleurs automobilistes qui n’étaient pas des usagers réguliers des transports collectifs.
C’était aussi l’occasion pour la Ville de Rotterdam et la presse locale de s’interroger sur la maîtrise des coûts de la vente et du contrôle des billets. La nature des campagnes de gratuité s’est transformée dans les années 1990-2000, à la suite d’une vague de dérégulation et de privatisation des services de transports collectifs : elle a quitté le répertoire d’actions syndicales pour épouser les politiques des collectivités locales. L’expression « actie gratis openbaar vervoer » est aujourd’hui employée par les municipalités néerlandaises pour désigner des politiques d’encouragement à l’usage des transports collectifs en permettant l’accès universel gratuit sur une durée et un périmètre limités.
Marika Rupeka
Marika Rupeka est docteure en architecture, ingénieure de recherche au LATTS et chercheuse associée au LIAT. Elle aborde la gratuité des transports dans plusieurs contextes historiques et géographiques dans sa thèse soutenue en 2021 sur la prise en compte du bien-être dans les politiques publiques françaises, suédoises, anglaises et néerlandaises.
Source : Archives de Zélande, banque d'images Schouwen-Duiveland, numéro ZG-0916.